Adrenadream – Lea Silhol Sword-press

House of Winter

Les symptomes de Stockholm

J’aime la paix. Si si. (Comme… j’aime l’Enfer, tous les Capulets, et toi) (1)

Tout comme j’aime la paix, j’aime les discours paternalistes et apaisants. Et comme je prends mon Prozium (TM) je gobe tout ce qu’on me dit, en particulier si c’est asséné d’un air de notaire cossu, appuyé par des choeurs de « petits chanteurs à la croix de langue-de-bois » qui psalmodient en canon, et le serial-posting d’articles en ligne (surtout issus de Wikipédia).  ET plus encore j’adore qu’on me vende des solutions en kit, pré-mâchées, assorties d’une notice qui stipule de façon rassurante de combien de tournevis et de bonzhommes j’aurai besoin pour finaliser le montage de mon étagère-utopie.

Je ne voudrais surtout pas oublier de mentionner à quel point je me sens « encadrée » quand des personnes dont l’existence se manifeste principalement sous pseudo, dans la blogosphère, me disent ce que je devrais faire, penser, et éventuellement ressentir. Il est vrai qu’avoir un mode d’emploi, c’est comme pour les étagères : c’est plus commode.

Ah… si seulement….

 

Tout ceci, bien sûr… est faux. Sauf la première déclaration : j’aime la paix. Le problème c’est qu’elle ne croit pas en moi…. ni moi en elle, forcément. Complexe de St-Thomas ? Disons que j’aime bien les lanternes, mais refuse de consommer des vessies.

Aussi, lorsqu’on m’assène une belle et bonne entourloupe, même (voire surtout) selon la formule évoquée ci-dessus… je rue, c’est un réflexe.

 

Bref….

Dans les épisodes précédents… Also sprach Cassandroustra

Je disais, une deux, troix (mille) fois… le principal danger pour le consommateur qui laisse faire, actuellement, ReLIRE, les Commonistes & consort… c’est le retrait des artistes qu’il aime consommer.  Qu’ils se rétractent dans les « tours d’ivoire qu’on leur prête » et refusent de rendre leurs oeuvres « publiques ».

En posant l’axiome « publier c’est offrir. A partir du moment où l’artiste publie, il se dépossède de tout ou partie de ses droits à disposer de sa propre création » on invoque automatiquement cet effet. Cette règle est nécessaire aux programmeurs qui s’imaginent bâtir une société « idéale et salvatrice » pour accomplir leur dessein. Il leur faut pouvoir s’emparer des forces vives des créatifs pour ce faire. Mais elle est évidemment contraire aux lois naturelles de la création, et à la psyché humaine en général.

La première réaction à laquelle on se heurte lorsqu’on annonce cette « prophétie », c’est l’incrédulité, tant les abeilles de la ruche sont incapables d’intégrer l’idée du « bourdon solitaire ». Il leur semble impossible qu’un être humain puisse préférer refuser ses oeuvres ou inventions au monde plutôt que de s’en voir dessaisi. Ceci est la preuve éclatante qu’ils n’ont jamais ouvert un seul traité d’Histoire de l’Art de toute leur vie.

La seconde, en mode « bravache » c’est : « qu’ils le fassent, on s’en fiche ». Évidemment. On touche là au plus amusant paradoxe du Commonisme : la mainmise sur la Propriété Intellectuelle est l’un des angles premiers de leur projet, mais ils n’ont aucun intérêt réel pour l’Art. Ce qu’ils visent véritablement, sous toutes ces prétentions à la défense de « la Culture pour tous »… ce sont les licences et brevets. Avoir la liberté du « Creative Commons » ne leur suffit pas, car elle ne s’applique qu’à leurs propres productions. Il leur faut le libre accès à tout : il faut qu’ils imposent leur système à tous les acteurs de la sphère qu’ils visent. Pour s’assurer leur vision de la liberté, ils voudraient donc mettre la majorité des créatifs (qui ne partagent pas leur vision) en servitude.

Que se passe t-il, alors, lorsque les artistes font suite, et commencent à se retirer, de facto ?

Nous avons eu une occasion récente d’étudier ce cas, lorsque le dessinateur Manu Larcenet a décidé de fermer son blog (2). Cette position a évidemment été commentée par « les deux camps ». Les Commonistes, munis d’un bistouri et de leur habituelle interface déshumanisée, ont disséqué les mots, les termes, et leur pertinence ou non du point de vue juridique. Dieu merci il reste assez de jaune bilieux dans cet univers pour que je puisse rire de ceci sous la colorimétrie adaptée ! Il est après tout question d’un homme (un être vivant et sensible) qui vit assez mal ce que les pillards font de son travail pour décider de murer les murs de son propre espace d’expression. Il est question de ressenti. L’attitude des médecins légistes acharnés à soumettre son billet (très certainement écrit sans recours à un p*** de boulier) au crible d’un « dico du Droit » montre à quel point le gouffre entre nos univers est infranchissable.

Les seuls champs opératoires sur lesquels les tenants de ces théories « partageuses » couchent les problématiques de l’art sont ceux-ci : le juridique, l’économique, le politique (tout ceci généralement réduit au seul univers numérique). Psychologie ? Néant. Sociologie ? Néant. Histoire et histoire de l’art ? Néant. Anthropologie ? Ethnologie ? Néant.
… Humanisme ? Triple néant.

Le seul fait que des personnes aussi privée à la fois de sensibilité et de sens puissent prétendre à réformer une sphère qui n’est faite que de cela est proprement contre-nature.

Et on y va bien sûr de l’habituel couplet sur « l’artiste refusant est un dinosaure qui n’a pas compris internet (le niais) » . Cf. certains débats sur Twitter :

May 30

Exact , il n’a pas su comprendre Internet & exposer clairement sa volonté via licence

Ce qui fait bien naturellement réagir l’écrivain et traducteur Lionel Davoust en mode « je suis un être humain » :

 

May 30

Un créateur est blessé, prive le monde de son travail et vous dites « il n’a pas pigé ». Okay.

(Merci Lionel, en effet tu es un être humain. Il est toujours agréable de sentir un coeur battre derrière les écrans).

Donc, Manu Larcenet « n’a su comprendre ». C’est là l’une des formules « prêtes à l’emploi » que l’on retrouve régulièrement dans le kit de base des défenseurs du Commonisme (et les mêmes s’ébaudissent tout aussi régulièrement qu’on leur signale l’arrogance dont il font si facilement montre ?).

Mais la réaction en mode « récupération » faite par certains me semble pire encore.

« Utiliser les forces du partage plutôt que de lutter contre elles »

Bon sang… j’aime cette tournure, cette formulation, ce côté péremptoire et didactique que prend le bibliothécaire pour dire aux écrivains ce qu’ils ont à faire. Pas un « peut-être », pas une nuance. On assène, comme dans un amphithéâtre : « utiliser les forces du partage« . Si fait, c’est sss’cela. Et on en profite pour renvoyer le chaland à un article qui n’a aucun rapport avec Manu Larcenet, mais tout à voir avec le choix (largement utilisé comme argument de propagande) d’un autre artiste, Jonathan Worth, de permettre le partage de ses oeuvres.

Il nous peine de devoir préciser à Calimaq que :

– Le fait que la décision de J. Worth soit conforme à ses propres idées et crédos ne la rend pas plus pertinente, ou légitime, que celle de Manu Larcenet. Et que par conséquent renvoyer M. Larcenet à la solution sélectionnée par J. Worth est méprisant, manipulateur, et privé d’objet.

– Que Jonathan Worth et Manu Larcenet ne pratiquent pas le même art. Les problématiques d’ampleur supérieure auxquelles les photographes font face actuellement, et la nature particulière de leur pratique invalide de facto tout parallèle naturel entre ces deux artistes. Ils sont par ailleurs, est-il besoin de le préciser, deux personnes différentes, dotées de vécus, sensibilités et rapports différents (tous deux légitimes) à leur propre travail.

– Que le genre d’expérience que tente J. Worth est du même ordre que les tests des effets teratogènes des médicaments = il nous dira dans 20 ans les effets que cela aura eu, à terme, sur sa carrière. (si tant est qu’il puisse les quantifier, faute de contre-expérience)

Ce qui me gêne, plus encore que la froideur appliquée au traitement de cet exemple, c’est l’instrumentalisation dont Manu Larcenet est l’objet. On n’est pas loin de le poser en exemple de « faillite » , en l’opposant à la « réussite » du bon élève Jonathan Worth. Comme si cela n’avait pas suffi de pousser un artiste assez apprécié pour être pillé à se retirer ! Il faut encore, comble de cynisme, que l’on se « serve » de lui, encore une fois. Après avoir été dépossédé du contrôle sur sa propre création, le voilà de surcroit privé du sens personnel et unique qu’il est en droit de donner à sa rébellion !

Je n’ai pas réagi sur Twitter à cette « affaire » (bien que j’aie été, comme on l’a vu, en copie des messages de ce débat – … oui, c’est moi. 😉 ). Et je ne l’aurais pas commentée du tout si je n’étais pas infiniment choquée par l’utilisation qui en est faite. J’ai étudié la sémantique, appliquée notamment en publicité, je sais reconnaître une belle grosse manoeuvre de comm’ lorsque j’en vois une. Et dans le cas présent, je trouve la méthode de très mauvais goût.

Ceci dit… une bonne citation vaut parfois mieux qu’un long discours…

 

Réaction / réponse automatique ? Viva panacéa !

Réaction / réponse automatique ? Viva panacéa !

 

Je ne connais pas Manu Larcenet, pas plus que je ne connais Jonathan Worth. Je ne me sens en droit de parler pour aucun d’eux, ni de juger de la validité de leurs décisions respectives, sinon dans le sens qu’elles leur appartiennent et sont, à mon sens, aussi légitimes l’une que l’autre.

Sauf si…

Sauf, que…

Se dessine ici, en filigrane, la structure d’une manoeuvre plus pernicieuse encore. Elle ne relève pas, elle, des arts de la communication ou de la propagande, mais de la tactique pure et simple.

 

ROBADO, here we go

(Les joueurs d’Échecs voient déjà où je veux en venir ?)

De tous les syndromes, celui dit « de Stockholm » est celui qui me fascine le plus. Il s’agit, donc, de la propension relevée chez des victimes, lors d’une prise d’otage, à prendre le parti de leurs ravisseurs, à se mettre en empathie avec eux, et à se convaincre qu’ils sont en rapport d’approbation, ou de sympathie. Il s’agit bien évidemment d’un réflexe de survie, d’autant plus efficace qu’il est inconscient.

La meilleure méthode pour « mettre les artistes au pas » est de les convaincre qu’il n’ont aucun moyen de s’en tirer et que, en conséquence, la meilleure option pour eux est de se convaincre qu’ils ont décidé, après réflexion, de se soumettre à « l’ordre nouveau ».

C’est, après tout, ce que l’on nous serine, nous répète, nous corne inlassablement : Internet et les principes de dématérialisation rendent impossible l’application du Droit d’Auteur. Pour survivre, nous devons négocier avec ceux qui nous tiennent en otage : c’est la solution raisonnable, c’est la solution « moderne », c’est la seule solution. Il serait proprement archaïque, et stupide, de faire de soi un  gréviste, ou un maquisard. C’est bien sûr ce que l’on a dit, de tous temps et ne tous lieux, à tous les grévistes et  maquisards. Et on leur a bien souvent infligé le même jugement de valeur (et gros yeux de circonstance) sur leur attitude incivile : ils sont des méchants, des asociaux, des égoïstes.

Ils se fichent du bien général-commun-public. Ils ne pensent qu’à leur (sale) pomme.

Si la pomme est si sale, pourquoi vouloir s’en emparer ? Pourquoi dévaloriser inlassablement les productions artistiques, présentées comme de simples agrégats d’influences, et déployer tant d’efforts pour s’en rendre maître ?

Ahhh… mais il est vrai que ce royaume évanescent et insaisissable, celui où prennent forme les idées, les histoires et les tableaux remarquables, les inventions et les avancées scientifiques et sociales… ce monde-là, si indéchiffrable et insupportable qu’il soit, est indispensable aux avancées humaines. il y a que ce matériau, oui, on ne peut pas s’en passer. Alors il faut s’en saisir, de gré ou de force.

La force, ici, c’est la loi : tout l’appareil juridique dont nos froids analystes auto-proclamés font tant de cas. Mais cette « force » ne peut aller jusqu’à obliger le « gré ». I.e. on peut dessaisir un artiste de ce qu’il a déjà accompli, mais pas l’obliger à produire ou diffuser ce qu’il lui reste à créer. Le mieux est donc de le convaincre que ce n’est pas un « nouvel ordre » (dictatorial, comme de juste) qui vient de s’établir, mais une « vérité ancienne, dissimulée par d’affreux comploteurs civilisationnels » (et les Illuminati, aussi ?) qui vient, grâce à eux, d’émerger, glorieuse, de sa gangue ». (Hosanna, hosanna… ) Bref : que ce n’est pas la privation d’un droit jusque là durement acquis, mais une « libération des illusions de l’obscurantisme », qu’on leur accorde. Et qu’il ne leur reste plus, à eux artistes-imbéciles-archaïques-malcomprenants de tout et surtout du Dieu internet, qu’à s’ouvrir à cette vérité, et recevoir la lumière, un uniforme, et leur juste place dans la ruche, en touchant avec gratitude le RSA des artistes qu’on a bien voulu prévoir pour eux.

On nous prend pour des cons ? oui. Amusant, puisqu’il s’agit de jouer ce tour à des gens qualifiés (le plus souvent péjorativement) « d’intellos » . Mais plus encore on nous prend pour des pleutres. Des pleutres vénaux, de surcroit. Et voilà bien une carte désopilante à jouer, de la part d’idéologues prétendant nous libérer de « l’édition commercialiste ».
Si l’affaire était moins grave, on en rirait des jours entiers.

Tout le problème, évidemment, c’est que les Commonistes ne sont pas des artistes. Ce sont des créateurs de contenants et contenus, pour certains (programmeurs de logiciels, participant à la pseudo-encyclopédie Wikipédia, etc.). Des « auteurs », donc, parfois, si se contenter de compiler les recherches opérées par d’autres rédacteurs ouvre à ce tire, mais pas des artistes, en tous cas pour la plupart.

ils font bien vite un raccourci facile entre « auteur » et « artiste ». Or ce n’est pas du tout la même cuisine.

Faire un parallèle entre ces deux pratiques reviendrait à amalgamer le Chaman et le Comédien, sous prétexte que les deux, assez couramment, gesticulent. Notez que je n’entend pas induire ici une échelle de valeur entre ces deux fonctions. Je dis juste qu’il ne s’agit pas là de la même chose, ce qui est un simple fait. (bien que certains mécréants me diraient sans doute que les chamans sont des comédiens = des charlatans ; mais qu’ils se taisent, de grâce, et nous les laisserons pour notre part à la grisaille affligeante de leur vie).

Il est à ce titre édifiant de voir à quel point la simple remarque (constat !)  :  » vous n’êtes pas un artiste  » fait automatiquement sortir ces messieurs de leurs gonds. On se fait alors, pour avoir simplement énoncé un fait, taxer de « vilain prétentieux ». Voilà qui nous démontre clairement que si le Commoniste n’est pas un artiste, il en a les velléités. Il entend, notamment, « fanfiquer » à son gré dans des mondes qu’il n’a su créer lui-même. C’est pour lui un simple loisir mais, pris dans le grid des illusions modasses, il a gobé tout rond le mythe de « tous stars, tous artistes », et ne voit même pas à quel point son besoin de « pomper » l’oeuvre d’autrui le disqualifie, par définition, du blason qu’il convoite. Et quelle gloire, en vérité, que d’être un artiste ! Quel bonheur ! Quelle position digne d’être convoitée, diable ! S’il ne me manquait qu’une preuve que nous avons atteint ici aux limites extrêmes de l’aveuglement, me voici servie ! Ce qu’il faut être bête, oui, pour convoiter une place dans ce troupeau-là ! Quel bénéfice, oui, que d’être un créateur, dans un monde qui s’acharne, sans faillir, à dépecer ce qui le fait vibrer, rêver, et l’exalte. Bravo, bravo. Send in the Clowns.(3)

Mais qu’importe, l’acte doit être accompli. Et pour avoir le beurre et l’argent du beurre, il faut mater la vache laitière. Et donc la convaincre de son imbécilité, et de l’inanité de ses espoirs.

Beaucoup de joueurs d’Échecs débutants ignorent qu’il y a, au ‘jeu des rois’ , deux façons de gagner : le mat, et le robado.

Le mat consiste, on le sait, à coincer le roi, à le mettre en incapacité de s’échapper. Alors… son joueur de « couche », reconnaissant la défaite.

Le robado, lui, consiste à priver le joueur adverse de toutes ses pièces, jusqu’à ce que son roi reste seul en scène. Si cette méthode est aussi peu connue, c’est que l’on considère que c’est la « mauvaise », par opposition au mat. La victoire « sale ». Mais c’est surtout le joueur perdant qu’elle « salit », car on attend de lui qu’il ait la classe, se voyant condamné, de se rendre. Faute de cela, s’il est assez leste pour éviter de se laisser encercler jusqu’au mat, on le dépouillera de ses pièces, une à une, jusqu’à ce qu’il se retrouve ainsi isolé, seul de sa couleur, sur le damier glissant.

On le prive donc de défenses.

Toute guerre étant, en grande partie menée sur le front psychologique, amener l’adversaire à penser qu’il est en position de Robado ou de Mat est une tactique intéressante. Dante ne l’aurait pas désavouée : « Toi qui entre ici abandonne tout espoir », etc. Il ne reste plus qu’à convaincre l’adversaire que la seule façon de sauver l’honneur est de coucher son roi.

L’axiome fut posé plus haut, regardons-le de plus près:

 » Utiliser les forces du partage plutôt que de lutter contre elles.  »

L’alternative est claire : on collabore au « monde nouveau » ou on lutte, ce qui nous amène donc, comme Manu Larcenet, à la retraite. Poser ce choix en commentaire de la fermeture du site de cet artiste revient à dire : « participe » ou… « end game ». Résister, c’est perdre. La seule façon d’accepter cette défaite sans se poser en lâche, ou en traître à sa caste et à ses propres convictions, c’est de se rendre en disant : « Eh bien, j’ai réfléchi… et ce n’est pas si mal, en fait. Je pourrais me faire un peu plus de notoriété ainsi ». C’est préférer la comptabilité niveau CP à une bonne vieille tragédie. Parfaitement, cela va de soi… non-artistique, donc.

 

 » Je connais bien les Melnibonéens.

Même crevant de faim ils préfèreront toujours un paradoxe élégant à une assiette de soupe. »

Michael Moorcock

J’ai toujours trouvé qu’il y avait une beauté tragique et presque cornélienne dans le robado. Dans la volonté stoïque de ne pas se coucher. Dans le fait de lutter jusqu’au bout, obligeant l’adversaire à une « victoire sale » dont il ne pourra trouver matière à se réjouir. Je doute que ceux qui prétendent nous régenter puissent le comprendre. C’est l’option (selon eux, du moins !)  non-réaliste, non-collectiviste, vraiment-trop-méchante et égoïste, à l’instar de toutes ces odieuses prétentions à l’individualité (et subséquent individualisme) que nous avons.

Oui. Oui-da mes bons messieurs du Club des Désapprobateurs. Nous sommes ceci : égoïstes. Et voici l’épisode que vous avez, à trop contempler vos codes d’économie numérique et de droit, dramatiquement manqué : le monde n’a jamais avancé que par l’impetus des égoïstes, des individualistes, des créateurs.

Il se trouve, voyez-vous, que nul homme ne rêve d’être une cellule de plus dans un vaste corps social anonyme. L’aspiration à l’individualité est ce qui nous caractérise tous, du plus petit au plus grand. Les hommes ne veulent pas « être des artistes », stricto sensu. Ils veulent, par ce biais, qu’on leur reconnaisse cette « empreinte », individuelle et unique, que le Droit rattache aux Auteurs. Ils veulent, par ce canal, se convaincre de leur identité, et au-delà, de leur propre réalité. Cette dimension capitale de l’expression humaine en général, et de l’art en particulier, est absolument et totalement niée par le Commonisme. Pourtant, dans la mesure où l’art n’est qu’un exsudat de celui qui le façonne, contester l’unicité du créatif revient, de facto, à détruire l’art.

La vérité sur l’assertion commoniste « le droit d’auteur est obsolète / aberrant / etc. » c’est que le terme ‘droit’ n’a rien à y faire. Soyons francs : ce qu’ils estiment bon à passer à la corbeille, comme contraire à leur « fabuleux projet », c’est l’Art, point.

L’Art est individualiste et célèbre l’individualité.

L’Art proclame que chaque être est unique.

L’Art est le pilier de la contestation.

L’Art n’a pas sa place dans le monde façon Matrix que le Commonisme, sous prétexte de crise — comme exactement tous les autres systèmes politiques — essaie de nous faire passer pour une solution.

Mes bien chers adversaires pourraient opposer que le Commonisme n’est pas (encore) un système politique. Ils ne se reconnaissent que partiellement dans le Parti Pirate qui, lui, a de telles prétentions aux urnes. Certes. , en apparence, du moins. La typologie du Commonisme n’est pas celle, en effet, d’un parti politique, même si on en sent actuellement les frémissements. Non : c’est celle, bien plus, d’une religion.

Aucune des conversations que j’ai eues avec des interlocuteurs de ce bord ne s’est différenciée, dans les grandes lignes méthodologiques, de celles (nombreuses) que j’ai pu partager avec des vendeurs de « La Tour de garde » ( © Les témoins de Jehovah, oui). Nous nous ferons un plaisir de décortiquer ce voyage en terres stériles un autre jour. Cela le vaut bien !

Le mantra n°1 de cette secte est tristement similaire à celui de toutes celles l’ayant précédées : « Si tu ne te convertis pas, il va t’arriver un truc horrible. »

Ceci est le liminaire conversationnel, et le vernis politiquement correct du véritable message qui est : Convertis-toi, ou crève.

Eh bien quoi ? Est-ce si outrageux ? Un représentant du Parti Pirate nous a donné sur Twitter un exemple (pour une fois !) de franchise en affirmant tranquillement que « si les créateurs sont par trop attachés à leurs oeuvres, et refusent qu’on (selon ses termes) l’améliore ou l’upgrade, eh bien… ils n’ont qu’à pas rendre leurs oeuvres publiques ».

Voilà donc ce qu’on nous propose, ou plutôt… cherche à nous imposer. Dans un premier temps en nous la présentant comme une évidence et comme seule voie de sortie de l’asservissement aux grandes structures éditoriales. Mais bientôt, par un lent et acharné travail de sapeur de l’opinion via le web, comme « seule vision valide, devant prendre force de loi ».

Dans cette pantomime, l’accès libre au « fanfic » est le pot-de-vin que l’on fait miroiter aux lecteurs. La possibilité, pour ceux encore incapables de produire une oeuvre achevée ( = contenant / contenu), de piocher dans les oeuvres des artistes qu’ils s’imaginent aimer, et de tous devenir à peu de frais des Dr Frankenstein. Magnifique perspective, non ? Exprimer sa personnalité par un copier-coller de tous ceux que l’on révère, et envie. Fabuleux, en vérité.

Il faudrait peut-être relire dare-dare Mme Shelley, et se souvenir de ce qu’il arrive au bon docteur, et à sa créature ?

Et se demander, d’ores et déjà, ce qu’il adviendra de ces fantasmes de « réanimator », une fois que, toutes les oeuvres admirables ainsi démantelées et « améliorées », les membres de cette Star’Ac littéraire se trouveront en manque de cadavres frais ? C’est bien cher payer, pour jouer aux légos (4) avec la matière des artistes, que de se retrouver demain, hypothétiquement, dans une sphère interneto-culturelle intégralement peuplée de cadavres ambulants, sans coeur, sans âme, sans expérience de la vie. Bien cher payer, oui.

J’ai toujours pensé qu’on ne négocie jamais avec les terroristes.

Et plus encore, on ne fraternise pas avec eux. Même et surtout lorsqu’on se trouve être leur otage.

J’ai conscience d’être, comme tous les auteurs,exactement cela :  otage. Prisonnière des nouvelles lois de ma nation, prisonnière de ces idées qui montent en flèche et qui auraient pu, si le timing avait été différent, avorter mes fays de Frontier avant même que je ne les ai couchés sur papier. Prisonnière de l’amour malsain d’une grande partie de mon propre lectorat.

Mais, pire encore, je suis prisonnière ici avec les « petites mains »innombrables qui, passivement ou activement, se rendent complices de cette boucherie. Nos lecteurs, ces faux frères, prêts à brader Frontier tout entière pour pouvoir jouer aux légos avec les univers que j’ai tirés de mes veines.

Prisonnière, oui, donc :  mais refusante. Et prête à brûler chaque ligne que j’ai pu écrire plutôt que de consentir. J’ai publié à peu près 30 % de ce que j’ai créé, par choix. Depuis 4 ou 5 ans je refuse toute publication, de même par choix. Il neigera en Enfer avant que je dorme à Stockholm.

Les options qui me sont ouvertes, comme tout artiste, sont peut-être dramatiquement aussi simples (simplistes !) que « la soumission ou le maquis » qu’on nous fait entrevoir. Mais se rendre et prétendre qu’on l’a fait pour des « raisons raisonnables » n’en fait pas plus partie que celui de « réécrire 100 fois mon dernier roman ayant passé le cap des 30 00 ex vendus » que voulaient m’imposer mes ex-éditeurs.

Ces choix se posent à nous tous, oserais-je dire : écrivains et lecteurs, sans notable distinction.

 

Good night & good luck

 

 

 

Si vous ne pouvez être des saints de la connaissance, soyez-en au moins les guerriers.

Nietzsche

 

 

Tomber dans le panneau ? ("vraie" pancarte vue dans le 34)

Tomber dans le panneau ? (« vraie » pancarte vue dans le 34)

 

 

(1) Oui oui, c’est un terrible remix de William Shakespeare.

(2) Concernant la fermeture du blog de Manu Larcenet voir par exemple   ICI (cf. aussi note 5)

(3) © Joni Mitchell

(4) L’oeuvre légo = Pour reprendre certaines formules ayant été énoncées lors d’un débat m’impliquant, et concernant les auteurs et leur position face aux fanfics (sur Twitter)

(5) je ne remercie pas WordPress qui, il y a deux jours, au lieu de poster la version 1 de ce blog comme je le lui avais ordonné, a jugé bon de m’en conserver un vague draft partiel, m’obligeant à tout recommencer. Puissantes sont les légions de l’Entropie ! Si, cédant au « si tu peux voir en un jour détruit l’ouvrage d’une vie, et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir… » (attribué faussement à Kipling et dû en réalité à son indigne – mais magistral – traducteur mister Eluard) j’ai donc réécrit ma diatribe… (soupir) …  le bug a tué, notamment, un certain nombre de notes, dont des précisions et élargissements de l’affaire citée en (2) que je suis un peu trop lassée, sur l’instant, pour aller rechercher-encore-une-fois. Nous y reviendrons. Tant pis pour moi, eux, et… vous !

6 commentaires sur “Les symptomes de Stockholm

  1. Pingback: Les auteurs, ces nouveaux otages | L'Écomoneur

  2. psycheinhell
    juin 10, 2014

    Paroles de coeur. Respect pour ton « lied d’intransigeance », ici, ailleurs, en cohérence…
    Et un écoeurement sans bornes pour les propos tenus par les prêcheurs du Commonisme, et la laideur qu’ils y étalent sans pudeur.
    Upgrader Frontier ??? Putain. Moi qui ne suis que lectrice de cette oeuvre, et visiteuse grâce à toi de la cité dont tu eus la vision originelle, et que tu sus créer… déjà cette perspective me révolte et me révulse. A l’aune de ce ressenti, j’imagine les répercussions de cette infâmie, cette trahison, en noirceur et colère rouge, sur l’aura des Artistes.
    Jouer aux legos… pouah. Je veux, moi, me battre pour un monde où Frontier soit possible. Où, donc, en l’espèce, l’Art soit libre – libre comme jamais ne l’entendra un partisan de la ‘culture pour tous’. Où les artistes puissent oeuvrer en paix, et en liberté.
    Un autre monde, celui qui menace… ne serait que dystopie, et exil. Une mort dans l’âme. Comme ce cauchemar que je fis la nuit dernière, où j’errais en mode ‘lost in the supermarket’ dans un labyrinthique magasin de *jouets*, vaste et désert. Brrrr.

    Honneur aux voix refusantes. La soumission qu’une faction de fonctionnaires et de politiciens sans face exige des créateurs – voilà le prix, horrible, démesuré, que je refuse de payer pour lire leurs livres, pour découvrir leurs oeuvres.
    Ils ne prendront pas ce pion que je suis sur le plateau d’échecs.
    Un pion noir, portant les couleurs du deuil d’un monde plus juste, des créations qui y jaillissent dans un libre élan et s’y partagent selon la seule volonté des artistes – et, brodé en lettres écarlates, brûlant de colère et d’un feu solidaire, le refus.

    A bow, lady. Je ne te dis pas ‘merci’, mère des fays, mais… je sais que cette série de blog a un prix.

    J’aime

  3. Lea Silhol
    juin 23, 2014

    Reblogged this on Nitchevo Squad News and commented:

    Les artistes otages du système – topographie de quelques manipulations en cours…

    Aimé par 1 personne

  4. {Natacha Giordano}
    juillet 3, 2014

    Merci pour la synthèse !
    On n’en finit jamais de faire le tour de cette aberration qu’est le Commonisme, il a toujours plus de tentacules qu’on en avait imaginé de prime abord.

    En échos réflexifs :

    Les théorisations sur le bien-fondé de l’abandon du droit d’auteur, lorsqu’elles sont issues de la communauté de Wikipédia, vu qu’elles reposent notamment sur le principe du bien supposé de la dissolution de l’individu dans la masse, sont purement irrecevables pour quiconque a fréquenté un temps assez long ladite communauté.

    Tu écris : « nul homme ne rêve d’être une cellule de plus dans un vaste corps social anonyme. »
    Oh que bon sang mais certes !
    Et le Wikipédien avancé, comme n’importe quel homme, rêve d’être une cellule parfaitement différenciée, notamment dans le vaste corps de Wikipédia, son milieu privilégié va-t-on dire.

    Oui, certes, ses contributions seront données en libre lecture au monde, dans un mode agrégé, qui ne permettra pas, au lecteur lambda, de les distinguer de celles des autres rédacteurs.
    Mais si ses contributions sont réellement « de qualité », elles lui vaudront la reconnaissance de ses pairs (reconnaissance que recherchent instinctivement 80% pour le moins des individus, puisque nécessairement particulièrement valorisante pour l’ego).

    Le Wikipédien est narcissique, ce qui en soi prouve qu’il est vivant (et ça, ce serait plutôt une bonne nouvelle). Il faudrait juste qu’il écoute davantage Fun Radio pour se convaincre que « ce n’est pas sale » d’avoir un ego, et qu’il arrête de se fantasmer en anonyme cellule purement altruiste.

    L’utilisateur wikipédien régulier a une page perso plus fourmillante de renseignements le concernant qu’une présentation sur Meetic (piochez dans cette liste au hasard, pour ceux qui ne connaissent pas, et consultez quelques profils http://fr.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:Utilisateur_pr%C3%AAt_%C3%A0_aider )
    Le Wikipédien ne se « dilue » pas et retire de ses contributions, à défaut de pesetas, une autre sorte de monnaie, qui a tout à voir avec l’individualité que les Commonistes dénient aux artistes.

    Essaye d’aller modifier un article labellisé « de qualité » sur lequel un Wikipédien en particulier a trimé, et qu’il a listé dans son palmarès perso, ou mets les pieds par hasard dans un domaine « chasse gardée » par une communauté de Wikipédiens, et soudain, le visage « altruiste » du contributeur va commencer à couler comme un vieux calendos.

    C’est un fait aisément vérifiable, que les contributeurs assidus de Wikipédia finissent par penser qu’ils ont des droits (moraux:), et oui, et oui) sur les articles sur lesquels ils ont sué (articles qui pourtant, rappelons-le, ne doivent absolument contenir aucune thèse personnelle, donc sur lesquels ils auront essentiellement fait du travail de synthèse, mise en forme, rédaction, illustration, etc.)

    Si Wikipédia fonctionne et permet la diffusion libre (enfin, dans une certaine mesure) d’une certaine connaissance, c’est parce qu’elle vit grâce à des contributeurs de talent qui ont un espace de choix pour se sentir valorisés, justement, et non anonymisés, reconnus par des pairs, reconnus dans leur individualité qui est exprimée notamment à travers leurs pages persos, et se gagnant peu à peu un droit de regard sur certains articles, un droit de propriété intellectuelle, donc.

    Bref (<—ahah), si Wikipédia peut servir d'argument en faveur du Commonisme, c'est au mieux comme cache-sexe (les Commonistes essayant de dissimuler qu'ils tentent de nous la mettre, on comprend qu'ils souhaitent recouvrir d'un voile de respectabilité leurs attributs génitaux).

    Les Commonistes ne m'ont pas non plus frappée, disons-le clairement, par une « dissolution » identitaire, et idem pour les membres du Parti Pirate.

    De même, les fanfiqueux m'ont toujours semblé très attachés à leurs créations, si empruntées soient-elles.

    Je résume pour voir si j'ai tout compris ? Chacun a le droit d'exprimer ses désirs, et de les voir satisfaits SAUF : si tu es artiste.
    Si tu es artiste, et bien tu as le droit de bénéficier des forces du partage, version tournante.

    Natacha

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  5. Nitchevo Squad
    septembre 18, 2015

    Il ne devait pas y avoir un nouvel épisode sur ce sujet après cela, Léa ?

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Information

Cette entrée a été publiée le juin 9, 2014 par dans Contre le Commonisme, Droit des Auteurs, et est taguée , , , .

Not F’d

don't feed the vultures

Ah... et pourtant... si (à présent) Et c'est la faute des #galgos !

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